L'automobile allemande redoute l'effet Apple

Un article du jounal le monde

Et si l'industrie automobile allemande avait atteint son âge d'or  ? Et si le géant Volkswagen, deuxième constructeur mondial avec 10  millions de véhicules vendus en  2014, était le prochain Nokia, un industriel dont le succès a été foudroyé en quelques années par l'arrivée d'un concurrent (Apple) à la technologie révolutionnaire  ?
Ce scénario, apocalyptique pour l'économie allemande si dépendante de l'automobile, est pris très au sérieux dans les milieux industriels outre-Rhin et pourrait de nouveau animer les débats alors que s'ouvre jeudi 5  mars le 85e  Salon automobile de Genève.
La cause de tant d'inquiétude ? Les progrès récents de la voiture autonome, capable de conduire sans intervention humaine, grâce à une batterie de capteurs reliés à un ordinateur de bord analysant à toute vitesse des milliards d'informations. La prochaine révolution en matière de mobilité. Si les constructeurs allemands sont les plus en pointe sur cette technologie, ils surveillent avec anxiété l'arrivée de nouveaux acteurs, spécialisés non plus dans la technique automobile mais dans la gestion de données et la création de systèmes d'exploitation.
Cécile Boutelet


L'automobile allemande se prépare à l'effet Apple

Face aux ambitions des stars de la Silicon Valley, l'industrie germanique multiplie les expérimentations
C'est la Google Car, le véhicule automatique de Google, qui circule déjà sur les autoroutes californiennes. C'est surtout l'iCar, si les rumeurs qui prêtent à Apple l'ambition de se lancer sur le marché de l'automobile se révélaient fondées. La récente visite en Allemagne de Tim Cook, patron de la firme à la pomme aux 178  milliards de dollars (159  milliards d'euros) de réserves, a eu l'effet d'un coup de pied dans la fourmilière.
" Si Apple voulait rentrer sur le marché de l'automobile, ce que j'ignore, je lui souhaiterais beaucoup de réussite et saluerais l'arrivée d'un nouveau concurrent ", a déclaré, impassible, le patron de Daimler, Dieter Zetsche, fin février, au quotidien allemand Die Welt. " La voiture, c'est nous qui l'avons inventée. Et l'expérience dans ce domaine est déterminante. Qui entre sur ce marché ne l'a pas ", a-t-il tranché.
Mais l'assurance affichée du dirigeant peine à convaincre, à l'heure où Uber et Airbnb n'ont mis que quelques années à révolutionner les secteurs du taxi et de l'hôtellerie. Fin janvier, Martin Winterkorn, PDG de Volkswagen, avait mis en garde contre le " sentiment trompeur de sécurité " que confèrent les succès actuels de l'automobile allemande et le risque d'" ignorer des changements sociétaux majeurs ". Pour l'expert automobile Stefan Bratzel, " personne ne peut dire qui, des constructeurs établis ou des groupes extérieurs, aura la main demain sur l'offre de mobilité ".
Pratique de la mobilité
Dans une note publiée en février, intitulée " Automobile 4.0 ", le cabinet Roland Berger dresse le portrait de la voiture du futur. Les auteurs y identifient les trois éléments qui devraient bouleverser fondamentalement l'industrie automobile et sa chaîne de valeur, et la pratique de la mobilité : la connectivité des véhicules, la mobilité partagée et la conduite automatisée.
" La combinaison de ces trois tendances va permettre l'émergence d'une nouvelle forme de transport public qui offre la «mobilité à la demande» aux consommateurs : quand le clic sur une application de smartphone commande un véhicule automatique et partagé ", estiment les auteurs de la note.
En Allemagne, certains constructeurs se préparent déjà à ces nouvelles formes de mobilité : BMW avec DriveNow et Daimler avec Car2Go proposent déjà dans certaines métropoles allemandes et internationales des flottes de certains modèles de leur marque en autopartage, réservables avec un smartphone. A Berlin, Citroën propose sur le même modèle ses véhicules C-Zero, entièrement électriques.
Pour l'instant, les constructeurs allemands tiennent donc bien leur rang. En ce qui concerne la technologie des véhicules, c'est au Consumer Electronics Show (CES) de Las Vegas, début janvier, qu'ils ont présenté leurs dernières inventions. " Aux Etats-Unis, la plupart des innovations autour des véhicules du futur et de l'expérience de la mobilité sont aujourd'hui présentées à Las Vegas et non plus à Detroit ", explique Wolfgang Bernhart, expert automobile chez Roland Berger.
Chez Mercedes, c'est la berline autonome F  015 qui a marqué les esprits au CES. Avec son design résolument futuriste, elle est équipée de sièges avant pivotants, permettant de créer un espace de réunion mobile. La marque à l'étoile, qui équipe déjà ses modèles des séries E et S de conduite autonome en embouteillage et de parking automatique, a également présenté, en septembre  2014, le premier poids lourd autonome du monde. En août  2013, la marque avait fait rouler son véhicule autonome S  500 sur route de campagne et en ville, entre Mannheim (sud-ouest de l'Allemangne) et Pforzheim, les 100  km parcourus par Bertha Benz en  1888 dans la toute première automobile du monde.
L'A7 autonome d'Audi a transporté toute seule des journalistes sur 900  km entre Stanford (Californie) et Las Vegas. Quant à l'i3 de BMW, on peut désormais la garer dans un parking uniquement avec son smartphone.
Les deux concurrents de Mercedes maîtrisent parfaitement la conduite autonome à longue distance sur autoroute ainsi que dans les embouteillages. Volkmar Denner, PDG du sous-traitant automobile Bosch, qui équipe aussi la Google Car, assure qu'" au plus tard en  2020, la conduite hautement automatisée sera disponible en série, la décennie suivante verra la conduite totalement automatisée ".
Que peut craindre alors l'industrie automobile allemande face à la concurrence de la Silicon Valley ? Peut-être précisément ce qui empêche l'Allemagne de développer un tissu de start-up vraiment originales et compétitives : une spécialisation traditionnelle sur les machines (hardware), alors que les logiciels (software) prennent le dessus, et un contexte juridique conservateur, très protecteur des données personnelles.
Car si, techniquement, tout est prêt pour faire rouler des voitures autonomes de série sur les autoroutes allemandes, il n'est pour l'instant pas autorisé d'y laisser circuler un engin sans conducteur, contrairement à ce qui se passe en Californie. Sur ce point, les constructeurs allemands ont su faire jouer leur lobby pour accélérer les choses. Fin janvier, le ministre des transports, Alexander Dobrindt, a ainsi annoncé l'ouverture prochaine en Bavière d'une section de l'autoroute A9 pour les véhicules autonomes. Le problème de la responsabilité en cas d'accident est actuellement en cours de négociation.
Mais c'est la question de la protection des données qui est la plus épineuse. La voiture du futur, autonome et connectée, va fatalement amasser des milliards de données sur le comportement des automobilistes pendant un trajet. Autant d'informations intéressantes aussi bien pour la publicité que pour les assurances.
A qui appartiennent ces données ? Et comment peut-on protéger les passagers de la voiture en cas d'attaque informatique ? L'Allemagne va devoir s'entendre sur ces points rapidement si elle veut exploiter l'avance technologique de son industrie automobile. Une gageure dans un pays traditionnellement très sensible sur la question des données personnelles.
Cécile Boutelet

Maxime

"L'intelligence, ce n'est pas ce que l'on sait,
c'est ce que l'on fait quand on ne sait pas"

Piaget