Dans le Pas-de-Calais, l'université d'Artois a conquis les petits-fils de mineurs


Extrait du Journal "Le Monde"

Lancée en 1992, l'une des sept universités " nouvelles " a joué la carte de la démocratisation
Son siège est à Arras, mais les neuf pôles de l'université d'Artois (UA) jalonnent l'ancien bassin minier, de Douai à Béthune-Bruay ou Hénin-Carvin, en passant par les anciens " Grands bureaux " de Lens. Dans ce spectaculaire château de l'industrie charbonnière, reconverti en fac, des jeunes entrent chercher le savoir là où leurs grands-pères mineurs courbaient la tête. Vingt ans après sa création, 14 000 étudiants ont choisi l'UA plutôt que de rejoindre tous les jours la métropole lilloise.

Jean-Pierre Renard, vice-président de l'UA, chargé de l'insertion et de l'orientation professionnelle, se souvient très bien du plan " Université 2000 ", lancé en 1990 pour démocratiser l'enseignement supérieur et mieux répartir les établissements sur le territoire. " Au début des années 1990, j'étais directeur de la faculté de géographie à Lille, saturée d'étudiants. Et je savais que non loin, dans un bassin démographique fort, trop de jeunes s'arrêtaient au bac. Les universités d'Artois et du Littoral - dont le siège est à Dunkerque - ont vite accueilli des jeunes venant de milieux sociaux modestes... Aujourd'hui, 75 % des étudiants de notre établissement viennent du territoire local et 20 % de bacs technologiques. "

Pour M. Renard, en termes de quantité, cette politique a permis une réelle démocratisation. " Les facs sont à proximité de leurs domiciles, ce qui les encourage à tenter des études supérieures. Ma seule crainte était de les rendre captifs, d'accentuer leur manque de mobilité. " Car les jeunes Nordistes ont peur de bouger. Il faut donc transformer cette culture et accompagner financièrement le mouvement. " J'avais remarqué que la plupart des licenciés choisissaient les masters existant sur place ; pour eux, devenir professeur des écoles constituait déjà une promotion sociale. Aujourd'hui, dès leur deuxième année de fac, certains réfléchissent à leurs envies, même si cela signifie une licence ou un master à Nancy, Bordeaux, Grenoble ou Rennes, dans des spécialités que l'université d'Artois ne présente pas. Mais je ne suis pas sûr que tous osent le faire... "

Les enfants issus de milieux peu favorisés demeurent plus hésitants à se lancer dans des études longue durée. " S'ils trouvent une formation rapide, ils n'hésitent pas. Si ce n'est pas un BTS, cela sera un IUT, reprend M. Renard. Ils ont la politique des petits pas, comme disait Kissinger. Une fois sur cette voie, très peu reviennent vers une licence générale. Les meilleurs tentent plutôt la licence pro (L3). Plus de 90 % des effectifs de L3 viennent des IUT. Mais ensuite, seules les têtes de promotion de licence pro peuvent espérer intégrer un master pro. "


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Certains rendent à l'université ce qu'elle leur a offert. Ainsi Fabien Durant, désormais professeur d'histoire à Hersin-Coupigny, près de Béthune. Boursier depuis le bac, il étudia à Arras et s'impliqua auprès des plus jeunes de 2005 à 2007 en servant de tuteur à 30 étudiants en 1re année d'histoire. " Un jeune qui arrive en fac se sent perdu. J'ai bien aimé que l'on nous donne la possibilité de jouer un rôle dans l'université. " Fabien avait pensé à Lille-III mais avait préféré " un campus plus calme, plus petit, sans la foule. Je n'ai jamais été déçu, et ce jusqu'à la préparation impeccable au capes ".

Cependant, les limites de la démocratisation se lisent dans les statistiques de l'Observatoire de la vie étudiante de l'établissement. En 2010, l'université dénombrait 21,2 % d'enfants de cadres en licence, 26 % en master et 29,7 % en doctorat. A l'inverse, la proportion d'enfants d'ouvriers décroît de 26,5 % en licence à 16,2 % en master et 6,3 % en doctorat.

Dans le même temps, en licence, 76 % des étudiants viennent de l'Artois, en master ils ne sont plus que 63,9 % et en doctorat 54,1 %. Les jeunes originaires de la métropole lilloise représentent 8 % en licence mais 18 % en doctorat...
Suzy Lesniewski, ancienne vice-présidente étudiante de l'université, insiste sur la nécessité de développer le logement étudiant. " Ce n'est pas parce que l'université possède de nombreux boursiers, habitant près du domicile parental, que ceux-ci n'éprouvent pas un désir d'indépendance. Or, à Arras par exemple, pour un logement du Crous, il y a sept demandes... "

Extraits de l'article de  Geoffroy Deffrennes